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22/11/2024

Lettres exsangues

11


11


Lettres exsangues

L’automne mange le temps
comme un insecte sec
avale le néant.

Un reflet de ciel flou
drape le soir
naissant
d’une toile mignarde,
empruntant à Boucher
des dentelles
de touches
diluées dans l’encens.

Un feu crépite,
l’horloge tinte,
aigrelette,
à l’étage,
s’endort un jour,
calme
et nourri
de ces longues pensées
au parfum de l’amour.

Ecrire
délie mes doigts
dont les gammes
aiguisent
la virtuosité des mots.

Francis Etienne Sicard, 2010

 

Sylvie Erwan 

15/11/2024

L’automne

10


10


L’automne

De boue le chemin est devenu.
Les arbres encore vivement vêtus.
La pluie récente parfume l’air.
Un million de feuilles se couchent par terre.

A la descente de la brume,
le bois secret s’allume.
L’enchantement est divin,
le temps n’a plus de fin.

Errer dans le bois,
voler du passé,
ramasser du thym
gentiment faire du thé.

Rarement le silence reste
dans ce ruisseau fascinant.
Caresser tout le savoir
dans les bras de maintenant.

Chloe Douglas, 1991

 

 Sylvie Erwan 

08/11/2024

Matin d’automne

9


9



Matin d’automne

C’est un matin… non pas un matin de Corot
Avec des arbres et des nymphes – sur la terre,
C’est un coin tout petit, entre des murs de pierres
Pas bien hauts…
C’est un matin dans le petit jardin du presbytère.

C’est un matin d’automne :
Vigne rouge, dahlias jaunes
Petits doigts tortillés de chrysanthèmes roux ;
Un tournesol montrant sa face de roi nègre
Sous un vieux diadème de plumes raides, un peu maigres…
Arrosoir vert, près du géranium en pot.
C’est un matin, sans nymphes de Corot.1

Le curé dort, la maison dort, le chemin dort,
Pendant que, doucement, tombent des pièces d’or…

C’est un matin d’automne…
L’aube, qui s’est levée à pas de loup, d’abord frissonne
En peignoir rose… puis se met à rire dans le ciel,
Et tout devient rose comme elle, et rit comme elle,
Et ce sont des clartés roses et blondes telles
Que le petit jardin doré semble irréel.
Réveillée en sursaut, dans le clocher, la cloche sonne :
« Vite ! Vite ! Levez-vous, bonnes gens
C’est le matin ! C’est le matin d’automne !
Je sonne ! Il fait beau temps !

Entends, vieille servante au bonnet blanc, du presbytère.
C’est l’heure, lève-toi… Lève-toi, vieux curé ;
Vois les oiseaux, vois la lumière !
Prends ta soutane et ton bonnet carré,
Ouvre ta porte et va… l’heure te presse !

L’allée a tous les tons fauves des vieux missels…
Va vite, ne t’attarde pas, sous le grand ciel,
Au tout petit jardin plein d’allégresse…
Couleur de feu, couleur de fleurs, couleur de miel,
Il est trop beau ! tu le prendrais pour un autel.
Tu manquerais la messe… »

Sabine Sicaud, Poèmes d’enfant, 1926

 

 Sylvie Erwan 

02/11/2024

Novembre

8


8


Novembre

Je lui dis : La rose du jardin, comme tu sais, dure peu ;
et la saison des roses est bien vite écoulée.
SADI.

Quand l’Automne, abrégeant les jours qu’elle dévore,
Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore,
Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu,
Que le bois tourbillonne et qu’il neige des feuilles,
Ô ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles,
Comme un enfant transi qui s’approche du feu.

Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,
Ton soleil d’orient s’éclipse, et t’abandonne,
Ton beau rêve d’Asie avorte, et tu ne vois
Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,
Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée
Qui baignent en fuyant l’angle noirci des toits.

Alors s’en vont en foule et sultans et sultanes,
Pyramides, palmiers, galères capitanes,
Et le tigre vorace et le chameau frugal,
Djinns au vol furieux, danses des bayadères,
L’Arabe qui se penche au cou des dromadaires,
Et la fauve girafe au galop inégal !

Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes,
Cités aux dômes d’or où les mois sont des lunes,
Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel,
Tout fuit, tout disparaît : – plus de minaret maure,
Plus de sérail fleuri, plus d’ardente Gomorrhe
Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel !

C’est Paris, c’est l’hiver. – A ta chanson confuse
Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse.
Dans ce vaste Paris le klephte est à l’étroit ;
Le Nil déborderait ; les roses du Bengale
Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ;
A ce soleil brumeux les Péris auraient froid.

Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue,
Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue.
– N’as-tu pas, me dis-tu, dans ton coeur jeune encor
Quelque chose à chanter, ami ? car je m’ennuie
A voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie,
Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d’or !

Puis, tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes ;
Et nous nous asseyons, et, loin des yeux profanes,
Entre mes souvenirs je t’offre les plus doux,
Mon jeune âge, et ses jeux, et l’école mutine,
Et les serments sans fin de la vierge enfantine,
Aujourd’hui mère heureuse aux bras d’un autre époux.

Je te raconte aussi comment, aux Feuillantines,
Jadis tintaient pour moi les cloches argentines ;
Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté,
Et qu’à dix ans, parfois, resté seul à la brune,
Rêveur, mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune,
Comme la fleur qui s’ouvre aux tièdes nuits d’été.

Puis tu me vois du pied pressant l’escarpolette
Qui d’un vieux marronnier fait crier le squelette,
Et vole, de ma mère éternelle terreur !
Puis je te dis les noms de mes amis d’Espagne,
Madrid, et son collège où l’ennui t’accompagne,
Et nos combats d’enfants pour le grand Empereur !

Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille
Morte à quinze ans, à l’âge où l’oeil s’allume et brille.
Mais surtout tu te plais aux premières amours,
Frais papillons dont l’aile, en fuyant rajeunie,
Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie,
Essaim doré qui n’a qu’un jour dans tous nos jours.

Victor Hugo, Les orientales

 

 Sylvie Erwan 

25/10/2024

Petites misères d’octobre

7


7



Petites misères d’octobre

Octobre m’a toujours fiché dans la détresse ;
Les Usines, cent goulots fumant vers les ciels….
Les poulardes s’engraissent
Pour Noël.

Oh ! qu’alors, tout bramant vers d’albes atavismes,
Je fonds mille Icebergs vers les septentrions
D’effarants mysticismes
Des Sions !….

Car les seins distingués se font toujours plus rares ;
Le légitime est tout, mais à qui bon ma cour ?
De qui bénir mes Lares
Pour toujours ?

Je ferai mes oraisons aux Premières Neiges ;
Et je crierai au Vent :  » Et toi aussi, forçat !
Et rien ne vous allège
Comme ça.

(Avec la Neige, tombe une miséricorde
D’agonie ; on a vu des gens aux coeurs de cuir
Et méritant la corde
S’en languir.)

Mais vrai, s’écarteler les lobes, jeu de dupe….
Rien, partout, des saisons et des arts et des dieux,
Ne vaut deux sous de jupe,
Deux sous d’yeux.

Donc, petite, deux sous de jupe en oeillet tiède,
Et deux sous de regards, et tout ce qui s’ensuit….
Car il n’est qu’un remède
A l’ennui.

Nérée Beauchemin, Des Fleurs de bonne volonté

 

ylvie Erwan 

18/10/2024

Rayons d’octobre 3

6


6


Rayons d’octobre

Écoutez : c’est le bruit de la joyeuse airée
Qui, dans le poudroiement d’une lumière d’or,
Aussi vive au travail que preste à la bourrée,
Bat en chantant les blés du riche messidor.

Quel gala ! pour décor, le chaume qui s’effrange ;
Les ormes, les tilleuls, le jardin, le fruitier
Dont la verdure éparse enguirlande la grange,
Flotte sur les ruisseaux et jonche le sentier.

Pour musique le souffle errant des matinées ;
La chanson du cylindre égrenant les épis ;
Les oiseaux et ces bruits d’abeilles mutinées
Que font les gais enfants dans les meules tapis.

En haut, sur le gerbier que sa pointe échevèle,
La fourche enlève et tend l’ondoyant gerbillon.
En bas, la paille roule et glisse par javelle
Et vole avec la balle en léger tourbillon.

Sur l’aire, les garçons dont le torse se cambre,
Et les filles, leurs soeurs rieuses, déliant
L’orge blonde et l’avoine aux fines grappes d’ambre,
Font un groupe à la fois pittoresque et riant.

En ce concert de franche et rustique liesse,
La paysanne donne une note d’amour.
Parmi ces rudes fronts hâlés, sa joliesse
Évoque la fraîcheur matinale du jour.

De la batteuse les incessantes saccades
Ébranlent les massifs entraits du bâtiment.
Le grain doré jaillit en superbes cascades.
Tous sont fiers des surplus inouïs du froment.

Déjà tous les greniers sont pleins. Les gens de peine
Chancellent sous le poids des bissacs. Au milieu
Des siens, le père, heureux, à mesure plus pleine,
Mesure et serre à part la dîme du bon Dieu.

Il va, vient. Soupesant la précieuse charge
Et tournant vers le ciel son fier visage brun,
Le paysan bénit Celui dont la main large
Donne au pieux semeur trente setiers pour un.

Nérée Beauchemin, Les floraisons matutinales

 

Sylvie Erwan 

11/10/2024

Rayons d’octobre 2

5


5


Rayons d’octobre

À peine les faucheurs ont engrangé les gerbes
Que déjà les chevaux à l’araire attelés
Sillonnent à travers les chardons et les herbes
La friche où juin fera rouler la mer des blés.

Fécondité des champs ! cette glèbe qui fume,
Ce riche et fauve humus, recèle en ses lambeaux
La sève qui nourrit et colore et parfume
Les éternels trésors des futurs renouveaux.

Les labours, encadrés de pourpre et d’émeraude,
Estompent le damier des prés aux cent couleurs.
De sillons en sillons, les bouvreuils en maraude
Disputent la becquée aux moineaux querelleurs.

Et l’homme, aiguillonnant la bête, marche et marche,
Pousse le coutre. Il chante, et ses refrains plaintifs
Évoquent l’âge où l’on voyait le patriarche
Ouvrir le sol sacré des vallons primitifs.

Nérée Beauchemin, Les floraisons matutinales

 

Sylvie Erwan 

04/10/2024

Rayons d’octobre (I)

4


4
Rayons d’octobre (I)

Octobre glorieux sourit à la nature.
On dirait que l’été ranime les buissons.
Un vent frais, que l’odeur des bois fanés sature,
Sur l’herbe et sur les eaux fait courir ses frissons.

Le nuage a semé les horizons moroses,
De ses flocons d’argent. Sur la marge des prés,
Les derniers fruits d’automne, aux reflets verts et roses,
Reluisent à travers les rameaux diaprés.

Forêt verte qui passe aux tons chauds de l’orange ;
Ruisseaux où tremble un ciel pareil au ciel vernal ;
Monts aux gradins baignés d’une lumière étrange.
Quel tableau ! quel brillant paysage automnal !

À mi-côte, là-bas, la ferme ensoleillée,
Avec son toit pointu festonné de houblons,
Paraît toute rieuse et comme émerveillée
De ses éteules roux et de ses chaumes blonds.

Aux rayons dont sa vue oblique est éblouie,
L’aïeul sur le perron familier vient s’asseoir :
D’un regain de chaleur sa chair est réjouie,
Dans l’hiver du vieillard, il fait moins froid, moins noir.

Calme et doux, soupirant vers un lointain automne,
Il boit la vie avec l’air des champs et des bois,
Et cet étincelant renouveau qui l’étonne
Lui souffle au coeur l’amour des tendres autrefois.

De ses pieds délicats pressant l’escarpolette,
Un jeune enfant s’enivre au bercement rythmé,
Semblable en gentillesse à la fleur violette
Que l’arbuste balance au tiède vent de mai.

Près d’un vieux pont de bois écroulé sur la berge,
Une troupe enfantine au rire pur et clair,
Guette, sur les galets qu’un flot dormant submerge,
La sarcelle stridente et preste qui fend l’air.

Vers les puits dont la mousse a verdi la margelle,
Les lavandières vont avec les moissonneurs ;
Sous ce firmament pâle éclate de plus belle
Le charme printanier des couples ricaneurs.

Et tandis que bruit leur babillage tendre,
On les voit déroulant la chaîne de métal
Des treuils mouillés, descendre et monter et descendre
La seille d’où ruisselle une onde de cristal.

Nérée Beauchemin, Les floraisons matutinales

Sylvie Erwan 

27/09/2024

Ô jeune Florentine

Kit automne 20


Kit automne 20


Ô jeune Florentine

Ô jeune Florentine à la prunelle noire,
Beauté dont je voudrais éterniser la gloire,
Vous sur qui notre maître eût jeté plus de lys
Que devant Galatée ou sur Amaryllis,
Vous qui d’un blond sourire éclairez toutes choses
Et dont les pieds polis sont pleins de reflets roses,
Hier vous étiez belle, en quittant votre bain,
À tenter les pinceaux du bel ange d’Urbin.
Ô colombe des soirs ! moi qui vous trouve telle
Que j’ai souvent brûlé de vous rendre immortelle,
Si j’étais Raphaël ou Dante Alighieri
Je mettrais des clartés sur votre front chéri,
Et des enfants riants, fous de joie et d’ivresse,
Planeraient, éblouis, dans l’air qui vous caresse.
Si Virgile, ô diva ! m’instruisait à ses jeux,
Mes chants vous guideraient vers l’Olympe neigeux
Et l’on y pourrait voir sous les rayons de lune,
Près de la Vénus blonde une autre Vénus brune.
Vous fouleriez ces monts que le ciel étoilé
Regarde, et sur le blanc tapis inviolé
Qui brille, vierge encor de toute flétrissure,
Les Grâces baiseraient votre belle chaussure !

Mai 1842.

Théodore de Banville, Les Cariatides (1842)


Sylvie Erwan 

20/09/2024

Premier automne

18


18 

Premier automne

Châtaignes rabotées de lumière
et de silence aussi,
comme des coquillages
blessés sur le sable,

elles recueillent la sueur du jour
qui exsude bleue,
la suie de la nuit
quand vient le soir,

le sang de l’aube
lorsque le soleil rouge
suinte du ciel
et de ses frondaisons,

lorsque les arbres
trempés de pourpre
liassent tomber
leurs derniers oripeaux :

ces feuilles mortes séchées,
ces grimoires improvisés
où j’inscris mes souvenirs d’été,
mes rêves et mes joies
rabotées de mes peines
dans la pénombre de mes pas.

Alix Lerman Enriquez

 

 Sylvie Erwan 

13/09/2024

L'Automne

19


19

L’automne
inonde nos regrets
d’un lustre inconséquent et d’une couleur bronze

ces regrets orgueilleux
réveillés par le sucre d’un vin capiteux
qui s’abreuvent du sang de nos mémoires sombres
qu’on avait achetés à des marchands de mort
pour habiller nos corps d’un drap de larmes rouges.

Ces regrets qui remplacent
le repentir sincère
par des frissons de fièvre incisifs et tenaces

qui nous laissent fautifs d’être aujourd’hui si vieux
plus vieux que les serments
qui n’ont pas eu le temps de mûrir au printemps.

L’automne abreuve
nos souvenirs
de flammes meurtrières
coupantes comme hier nous avons délaissé
nos plaisirs ordinaires
pour des postures noires pleines d’anxiété.

Claire Raphaël, 2015

 Sylvie Erwan 

07/09/2024

La cité natale

 KIT AUTOMNE 3

 

KIT AUTOMNE 3


La cité natale

Heureux qui dans sa ville, hôte de sa maison,
Dès le matin joyeux et doré de la vie
Goûte aux mêmes endroits le retour des saisons
Et voit ses matinées d’un calme soir suivies.

Fidèles et naïfs comme de beaux pigeons
La lune et le soleil viennent sur sa demeure,
Et, pareille au rosier qui s’accroît de bourgeons,
Sa vie douce fleurit aux rayons de chaque heure.

Il va, nouant entre eux les surgeons du destin,
Mêlant l’âpre ramure et les plus tôt venues,
Et son coeur ordonné est comme son jardin
Plein de nouvelles fleurs sur l’écorce chenue.

Heureux celui qui sait goûter l’ombre et l’amour,
De l’ardente cité à ses coteaux fertiles,
Et qui peut, dans la suite innombrable des jours,
Désaltérer son rêve au fleuve de sa ville.

Anna de Noailles, Le coeur innombrable

Adieu guinguette

 KIT AUTOMNE 6


KIT AUTOMNE 6


Adieu guinguette

Novembre, temps des sanglots, la rivière de larmes
En torrent impétueux déverse son chagrin
Et s’épanche parfois en noyant les chemins
De halage et de peine qui avaient tant de charme.

Nous allions en Juillet flâner sur ces sentiers
Pleins d’ombre et de lumière, allant vers la guinguette
Dîner, boire et danser au petit bal musette
Un air d’accordéon, péniches et canotiers.

Ces serments chuchotés au secret des tonnelles,
Ces soleils reflétés jusque dans tes prunelles
C’était Joinville le Pont, tout au pied des coteaux.

Adieu été trop court que notre Automne envie !
Le fleuve ronge ses berges, le temps use la vie
Et des bonheurs anciens ne laissent que ces lambeaux.

Antoine Livic, Chants d’écume suivi de Fleurs fanées, 2017

Lumières de Lune

 KIT AUTOMNE 8

KIT AUTOMNE 8


Lumières de Lune
Lumières de Lune, ombres de lumières
minérales, par dessus les fumées,
l’esquisse d’un tableau de Chagall
Une volute émeraude dans le passage de la nuit
qui vers l’ombre taraude, perce, surgit
comme un éclair
Sacré climax
un clin d’œil d’animal qui s’enfuit
et s’évapore l’ombre incandescente et belle
car au plus profond de la Plaine
Distingue t’on l’oubli ?
L’ange est bien passé
vite. Promptement
se dresse sur un char guerrier
l’Ajax conquérant,
Le cygne, l’Être éveillé.
L’ombre est au dessus de nous,
la lumière
à nos pieds.
Winston Perez

Les oies sauvages

KIT AUTOMNE 9

Les oies sauvages


Tout est muet, l’oiseau ne jette plus ses cris.
La morne plaine est blanche au loin sous le ciel gris.
Seuls, les grands corbeaux noirs, qui vont cherchant leurs proies,
Fouillent du bec la neige et tachent sa pâleur.

Voilà qu’à l’horizon s’élève une clameur ;
Elle approche, elle vient, c’est la tribu des oies.
Ainsi qu’un trait lancé, toutes, le cou tendu,
Allant toujours plus vite, en leur vol éperdu,
Passent, fouettant le vent de leur aile sifflante.

Le guide qui conduit ces pèlerins des airs
Delà les océans, les bois et les déserts,
Comme pour exciter leur allure trop lente,
De moment en moment jette son cri perçant.

Comme un double ruban la caravane ondoie,
Bruit étrangement, et par le ciel déploie
Son grand triangle ailé qui va s’élargissant.

Mais leurs frères captifs répandus dans la plaine,
Engourdis par le froid, cheminent gravement.
Un enfant en haillons en sifflant les promène,
Comme de lourds vaisseaux balancés lentement.
Ils entendent le cri de la tribu qui passe,
Ils érigent leur tête ; et regardant s’enfuir
Les libres voyageurs au travers de l’espace,
Les captifs tout à coup se lèvent pour partir.
Ils agitent en vain leurs ailes impuissantes,
Et, dressés sur leurs pieds, sentent confusément,
A cet appel errant se lever grandissantes
La liberté première au fond du coeur dormant,
La fièvre de l’espace et des tièdes rivages.
Dans les champs pleins de neige ils courent effarés,
Et jetant par le ciel des cris désespérés
Ils répondent longtemps à leurs frères sauvages.

Guy de Maupassant 



En septembre


En septembre

Parmi la chaleur accablante
Dont nous torréfia l’été,
Voici se glisser, encor lente
Et timide, à la vérité,

Sur les eaux et parmi les feuilles,
Jusque dans ta rue, ô Paris,
La rue aride où tu t’endeuilles
De tels parfums jamais taris,

Pantin, Aubervilliers, prodige
De la Chimie et de ses jeux,
Voici venir la brise, dis-je,
La brise aux sursauts courageux…

La brise purificatrice
Des langueurs morbides d’antan,
La brise revendicatrice
Qui dit à la peste : va-t’en !

Et qui gourmande la paresse
Du poëte et de l’ouvrier,
Qui les encourage et les presse…
Vive la brise ! il faut crier :

Vive la brise, enfin, d’automne
Après tous ces simouns d’enfer,
La bonne brise qui nous donne
Ce sain premier frisson d’hiver !

Paul Verlaine

Automne malade

 KIT AUTOMNE 12

 KIT AUTOMNE 12

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

Rayons d’octobre

KIT AUTOMNE 14


KIT AUTOMNE 14

Rayons d’octobre 

Maintenant, plus d’azur clair, plus de tiède haleine,
Plus de concerts dans l’arbre aux lueurs du matin :
L’oeil ne découvre plus les pourpres de la plaine
Ni les flocons moelleux du nuage argentin.

Les rayons ont pâli, leurs clartés fugitives
S’éteignent tristement dans les cieux assombris.
La campagne a voilé ses riches perspectives.
L’orme glacé frissonne et pleure ses débris.

Adieu soupirs des bois, mélodieuses brises,
Murmure éolien du feuillage agité.
Adieu dernières fleurs que le givre a surprises,
Lambeaux épars du voile étoilé de l’été.

Le jour meurt, l’eau s’éplore et la terre agonise.
Les oiseaux partent. Seul, le roitelet, bravant
Froidure et neige, reste, et son cri s’harmonise
Avec le sifflement monotone du vent.

Nérée Beauchemin, Les floraisons matutinales 

Premier automne

 KIT AUTOMNE 15

KIT AUTOMNE 15

Premier automne

Châtaignes rabotées de lumière
et de silence aussi,
comme des coquillages
blessés sur le sable,

elles recueillent la sueur du jour
qui exsude bleue,
la suie de la nuit
quand vient le soir,

le sang de l’aube
lorsque le soleil rouge
suinte du ciel
et de ses frondaisons,

lorsque les arbres
trempés de pourpre
liassent tomber
leurs derniers oripeaux :

ces feuilles mortes séchées,
ces grimoires improvisés
où j’inscris mes souvenirs d’été,
mes rêves et mes joies
rabotées de mes peines
dans la pénombre de mes pas.

Alix Lerman Enriquez

Le jardin mouillé

 KIT AUTOMNE 16


 

KIT AUTOMNE 16

Le jardin mouillé

La croisée est ouverte; il pleut
Comme minutieusement,
À petit bruit et peu à peu,
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille, la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit;
Au mur, on dirait que la treille
S'étire d'un geste engourdi.

L'herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.

Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel;
L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel.

Il pleut, et les yeux clos, j'écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s'égoutte
Dans l'ombre que j'ai faite en moi.
Poèmes d'Henri de Régnier

Bon Week-end

   Bonjour à tous  C'est avec toute mon amitié que je viens vous souhaiter une bon week-end. une bonne semaine . Prenez soin de vous . M...