À la Font-Georges
Voici les lieux charmant où mon âme ravie Passait à contempler Sylvie Ces tranquilles moment si doucement perdus. Boileau.
O champs pleins de silence, Où mon heureuse enfance Avait des jours encor Tout filés d’or !
O ma vieille Font-Georges, Vers qui les rouges-gorges Et le doux rossignol Prenaient leur vol !
Maison blanche où la vigne Tordait en longue ligne Son feuillage qui boit Les pleurs du toit !
O claire source froide, Qu’ombrageait, vieux et roide, Un noyer vigoureux A moitié creux !
Sources ! fraîches fontaines ! Qui, douces à mes peines, Frémissiez autrefois Rien qu’à ma voix !
Bassin où les laveuses Chantaient insoucieuses En battant sur leur banc Le linge blanc !
O sorbier centenaire, Dont trois coups de tonnerre Avaient laissé tout nu Le front chenu !
Tonnelles et coudrettes, Verdoyantes retraites De peupliers mouvants A tous les vents !
O vignes purpurines, Dont, le long des collines, Les ceps accumulés Ployaient gonflés ;
Où, l’automne venue, La Vendange mi-nue A l’entour du pressoir Dansait le soir !
O buissons d’églantines, Jetant dans les ravines, Comme un chêne le gland, Leur fruit sanglant !
Murmurante oseraie, Où le ramier s’effraie, Saule au feuillage bleu, Lointains en feu !
Rameaux lourds de cerises ! Moissonneuses surprises A mi-jambe dans l’eau Du clair ruisseau !
Antres, chemins, fontaines, Acres parfums et plaines, Ombrages et rochers Souvent cherchés !
Ruisseaux ! forêts ! silence ! O mes amours d’enfance ! Mon âme, sans témoins, Vous aime moins
Que ce jardin morose Sans verdure et sans rose Et ces sombres massifs D’antiques ifs,
Et ce chemin de sable, Où j’eus l’heur ineffable, Pour la première fois, D’ouïr sa voix !
Où rêveuse, l’amie Doucement obéie, S’appuyant à mon bras, Parlait tout bas,
Pensive et recueillie, Et d’une fleur cueillie Brisant le cœur discret D’un doigt distrait,
A l’heure où les étoiles Frissonnant sous leurs voiles Brodent le ciel changeant De fleurs d’argent.
Octobre 1844.
Théodore de Banville, Les Stalactites, 1846
Sylvie Erwan
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